Taillefer.coop

Commençons doucement avec deux avertissements; premièrement, je n’ai jamais rencontré Alexandre Taillefer mais je l’aime beaucoup. Pour ses projets, son implication, ses valeurs, ses interventions, etc. Même après la mort de son fils, il attache sa tuque et essaie de faire sortir du bien de sa douleur. J’ai hâte qu’il se lance en politique.
[M.à.j. 2019-01-29: Oups! 🤭]

Secondo; ceci est un “reckon,” ce n’est pas basé sur une recherche particulière. Je plisse les yeux en regardant un certain paquet d’affaires et je crois voir quelque chose qui ferait du sens. Je n’ai pas sorti une feuille de calcul pour vérifier le tout et je sais qu’il parle lui-aussi de mutualisation sur certains aspects.

Bon. Comme bien du monde qui en parle partout, ce billet est le résultat de la récente annonce que M. Taillefer veux démarrer un espèce de Amazon Québécois (et un Facebook et un Google). Je n’ai pas porté une très grande attention aux détails ni aux multiples réponses mais ça semble chauffer quand même pas mal avec les opinions contradictoires. De mon côté, je regarde plutôt ce nouveau projet et Téo. Les deux semblent un peu sur le même modèle;

  1. Identifier une méga-corporation US qui fait du capitalisme aux pratiques plutôt… extractives et parfois douteuses. Elles viennent “disrupter” l’économie locale sans rien (ou si peu) y laisser en taxes et impôts, parfois même en ignorant complètement les lois (Uber).
  2. Ajouter des valeurs plutôt de gauche comme le salaire décent, des conditions de travail plus saines, respect des lois, dose de protection de l’environnement, protection de notre culture, de nos entreprises, etc.
  3. Bien mélanger et faire une petite copie améliorée, localisée et sensibilisée socialement de la dite méga-corporation.

Ça marche plutôt bien pour Téo [Re-oups! 🤭], ça pourrait possiblement bien aller pour “st-laurent.com.” Ça m’intéresse mais pas tant. On passe d’un capitalisme pur et transnational à un capitalisme responsable et ancré dans la société. Grosse amélioration mais quand même encore assez similaire. Le.s propriétaire.s possèdent la compagnie et en retirent les profits.

Ce que j’aimerais voir c’est un saut plus loin.

Uber se considère une plateforme, ils offrent une interface logicielle entre des fournisseurs de service (les conducteurs) et les utilisateurs (vous). Ils ne possèdent “rien” et offrent tout simplement cette interface. Amazon est aussi une plateforme, très différente, mais qui élimine quand même des intermédiaires. Une nuée de produits et de fournisseurs / Amazon / vous. Ils possèdent d’énormes resources matérielles mais sont quand même une nouvelle (récente) forme d’entremetteur qui tasse des distributeurs et des commerçants pour vendre directement aux consommateurs.

Un peu partout, on parle de plus en plus des “platform coops,” [voir liste de lecture en fin de billet] l’idée qu’on peut mutualiser la propriété de la plateforme. Pourquoi laisser un ou quelques nouveaux entremetteurs “disrupter” des industries entières et s’accaparer la totalité des profits? Uber pourrait très bien—techniquement mais évidemment pas philosophiquement—rendre son code disponible en Open Source et laisser des regroupements de propriétaires de voitures s’organiser pour offrir le même service mais en gardant les profits. Le taxi à Montréal fonctionnait déjà en coop, même si le système était, selon un peu tout le monde, dénaturé voir même corrompu de différentes manières. Une coop nettoyée aurait pu utiliser un hypothétique Uber.coop comme “stack” logiciel et opérer localement dans le respect des lois et avec une séparation proportionnelle des profits.

Ce que j’aurais aimé voir M. Taillefer faire serait donc non pas simplement une copie bonifiée mais une réinvention poussant vraiment les possibilités du numérique. Cela pourrait prendre une forme du genre :

partage.coop Développement d’une plateforme logicielle (offerte en Open Source évidemment) permettant à des fournisseurs / individus de se regrouper dans une coopérative visant à offrir produits ou services et à partager les revenus / profits / dépenses. (Voir Enspiral entre autres pour des modèles. Parler à Jean-Martin Aussant au Chantier de l’économie sociale et à plus petite échelle parler à Vincent Chapdelaine chez Espaces Temps.

transport.coop Développement d’une plateforme complémentaire à partage.coop et ajoutant les fonctionnalités pour du “ride sharing.” Par exemple prendre le “stack” logiciel de Téo et mettre ça en Open Source.

ventes.coop Même idée mais dans l’optique de vendre des produits, par exemple des fichiers numériques comme de la musique et des livres électroniques. (Mais aussi parler de cultures et donnés avec Josée Plamondon.)

“Mais Patrick, M. Taillefer est un homme d’affaires, il fait comment pour payer tout ça et faire de l’argent?”

  1. Prendre les outils ci-dessus et offrir un service de haute qualité. Téo pourrait très bien faire exactement le même boulot côté voitures électriques, marque, qualité de service, etc. sans avoir l’exclusivité des logiciels. Les chauffeurs pourraient être regroupés en coop et avoir une entente de service avec Téo ou Téo emploie ceux qui veulent se simplifier la vie et des chauffeurs organisés coopérativement leur font une saine compétition.
  2. Offrir du support et travail de personnalisation aux coops qui utilisent les logiciels .coop. Exactement le même modèle que tous les gros projets Open Source. Voir Red Hat pour les services, voir IBM et autres qui bénéficient des resources de compétiteurs en développant du code en commun mais en offrant aussi des services “par-dessus.” Le gros bonus ici est de maintenant avoir des clients à l’international au lieu de se limiter au Québec.
  3. Pour le côté Amazon il pourrait aussi monter une offre d’entreposage, gestion des stocks, “shipping” et autres qu’une coop de libraires utilisent selon une entente de service. Où le tout est en coopérative mais un pendant international de support logiciel emmène des revenus qui soutiennent la coopérative.

Notez que des coops ça ne veut pas dire pas faire de profits, ça veut dire que les profits ne sont pas distribués à des investisseurs, ils sont ré-investis dans la coopérative. On peut se payer de bons salaires dans une coop et créer des marchés / gérer des milliards. Voir Mondragon évidemment.

Autrement dit : pourquoi créer des copies locales, aussi bonifiées soit-elles, alors qu’on pourrait sauter plus loin et créer des modèles complètement nouveaux qui s’exporteraient et seraient en plus meilleurs pour des sociétés et des citoyens partout dans le monde?